Cela fait un moment que je souhaitais écrire un article sur les "mères frigidaires" et l'autisme. Dans mon enfance, je devais avoir 8 ans, ma mère avait mentionné ce terme en râlant après les psy. Elle n'acceptait pas que l'on puisse rejeter la faute sur elle. La faute de quoi ? ça je l'ignore puisque mon diagnostic n'a été posé qu'à l'âge adulte et que jamais personne dans mon enfance n'a mentionné ce trouble en ma présence🤔
Curieuse de ce que pouvait être une mère frigidaire (évidemment, je visualisais ma mère dans un réfrigérateur … ) plusieurs années après, j'ai trouvé un documentaire parlant d'une expérience que l'on doit à René Spitz qui a étudié les effets de la privation affective sur les enfants dans des orphelinats, et il a observé des symptômes semblables à ceux de l'autisme : l'hospitalisme, chez des enfants privés d'interaction affective.
Ce terme a été utilisé dans le passé pour désigner une mère qui était perçue comme émotionnellement froide et distante envers son enfant. Cette expression a été particulièrement en vogue dans les années 1950 et 1960, notamment dans le domaine de la psychiatrie et de la psychanalyse. À cette époque, certains théoriciens, dont le plus célèbre est probablement Bruno Bettelheim, ont avancé l'idée que l'autisme pouvait être causé par le manque de chaleur émotionnelle et l'insuffisance de soins affectifs de la part des mères.
Selon cette théorie, l'attitude distante ou peu affectueuse de la mère envers son enfant aurait un impact direct sur le développement émotionnel et comportemental de l'enfant, le menant à des comportements autistiques. Cette théorie a été largement critiquée et discréditée depuis, car des recherches ultérieures ont montré que l'autisme est une condition neurodéveloppementale avec des causes principalement génétiques et biologiques, et non le résultat de pratiques parentales déficientes.
De ce fait, la froideur de ma mère à mon égard n'est pas la cause de mon trouble autistique.
Les principales critiques de cette théorie
Elle était principalement basée sur des observations cliniques et des interprétations psychanalytiques, sans soutien empirique robuste. Les études ultérieures n'ont pas réussi à établir un lien causal entre les comportements des parents et le développement de l'autisme chez les enfants.
Elle a contribué à stigmatiser et blâmer les parents, en particulier les mères, ce qui a souvent conduit à une culpabilisation injuste des mères, exacerbant leur stress et leur détresse émotionnelle.
En se concentrant uniquement sur les facteurs environnementaux et relationnels, cette théorie a négligé les composantes génétiques et biologiques, qui ont été de plus en plus reconnues dans les recherches scientifiques ultérieures.
Cette croyance a orienté les traitements vers des approches psychanalytiques qui n'étaient pas nécessairement bénéfiques ou basées sur des preuves, retardant l'adoption de stratégies de traitement plus efficaces et fondées sur des preuves.
Depuis, la compréhension de l'autisme a évolué !
Les recherches modernes ont démontré que des mutations génétiques spécifiques et des facteurs héréditaires y sont associés, montrant que les causes sont plus ancrées dans la biologie que dans les relations familiales. L'autisme est aujourd'hui considéré comme un trouble neurodéveloppemental complexe, impliquant diverses différences dans le développement du cerveau et son fonctionnement. Les études sur l'imagerie cérébrale et les neurosciences ont apporté des éclaircissements sur les particularités du cerveau autistique.
Bien que l'environnement familial n'est pas l'impact causal autrefois imaginé, des facteurs environnementaux tels que l'exposition prénatale à certaines substances, les complications à la naissance et d'autres influences biologiques pendant la grossesse sont étudiés pour leur rôle possible dans l'augmentation du risque.
L'Expérience de René Spitz
René Spitz est un psychiatre et psychanalyste d'origine autrichienne qui a mené des études importantes sur les effets de la privation affective chez les nourrissons dans les années 1940. Ses recherches sont devenues fondamentales pour comprendre les impacts psychologiques et émotionnels de la privation de soins maternels sur le développement des enfants.
Contexte et Méthodologie
Ce monsieur a observé des enfants dans deux environnements très différents :
Les nourrissons élevés dans une prison pour femmes. Ces enfants vivaient avec leurs mères détenues. Bien que vivant dans un environnement restrictif, ils avaient des interactions régulières et continues avec leurs mères.
Les nourrissons élevés dans un orphelinat. Ces enfants étaient pris en charge par le personnel de l'orphelinat, où le contact humain et les interactions affectives étaient beaucoup plus limités en raison du nombre insuffisant de soignants par rapport au nombre d'enfants.
Des différences significatives dans le développement des enfants issus de ces deux groupes ont été constatées.
Les enfants en prison : Bien qu'ils ne vivaient pas dans des conditions idéales, ces enfants montraient un développement émotionnel et physique plus normal et étaient moins sujets aux maladies. Ils avaient des interactions affectives régulières avec leurs mères, ce qui semblait contribuer à un développement plus sain.
Les enfants dans l'orphelinat : Ces enfants présentaient des taux élevés de retard de croissance, de troubles émotionnels et de comportements comme l'apathie, la dépression infantile, et des troubles cognitifs. Les nourrissons qui ne recevaient pas de soins affectifs suffisants montraient des signes de ce que Spitz a appelé l'hospitalisme - une condition caractérisée par des difficultés de développement, des perturbations affectives et même des taux de mortalité accrus.
Ces travaux ont mis en lumière l'importance des premières interactions et liens affectifs pour le développement sain des enfants. Il a théorisé que la privation affective grave pouvait causer des dommages psychologiques durables, soulignant la nécessité d'un contact affectif régulier entre les nourrissons et leurs soignants.
Ces conclusions ont contribué à des changements dans la gestion des orphelinats et ont influencé les pratiques parentales et institutionnelles. Ses observations ont également renforcé l'importance de la qualité des soins dans les premières années de vie, un principe qui reste central dans les discussions sur la petite enfance et le développement de l'enfant.
Interprétation des résultats de Spitz dans le contexte de l'autisme
Les observations de Spitz sur les effets délétères de la privation affective ont été interprétées par certains théoriciens comme soutenant l'idée que l'autisme pourrait être causé par un manque de chaleur et d'affection maternelles. La théorie des "mères frigidaires", popularisée par des figures comme Bruno Bettelheim, postulait que l'autisme était le résultat de mères émotionnellement distantes ou froides. Bien que les travaux de Spitz ne se concentraient pas spécifiquement sur l'autisme, ses études sur le développement perturbé des enfants en cas de manque d'affection ont été utilisées pour étayer cette hypothèse.
👉 La combinaison des observations de Spitz avec la théorie des mères frigidaires a conduit à une stigmatisation accrue des mères d'enfants autistes, qui étaient souvent blâmées pour la condition de leur enfant. Cela a ajouté une couche de culpabilité et de stress pour ces familles, déjà confrontées aux défis de l'autisme.
👉 Cette perception a influencé les approches thérapeutiques de l'autisme, orientant les traitements vers des méthodes psychanalytiques qui tentaient de résoudre les supposés problèmes relationnels entre la mère et l'enfant. Ces approches ont souvent négligé les aspects biologiques et neurodéveloppementaux de l'autisme, ce qui a retardé l'adoption de stratégies de traitement plus efficaces basées sur des preuves scientifiques.
Révision des théories et changement de paradigme
Au fur et à mesure que la recherche avançait, les critiques de la théorie des mères frigidaires et les études démontrant les bases génétiques et neurologiques de l'autisme ont conduit à un rejet progressif de cette théorie. Les contributions de Spitz à la compréhension des besoins affectifs des enfants ont été redéfinies dans un cadre qui reconnaît l'importance des soins affectifs sans blâmer les parents pour des troubles neurodéveloppementaux tels que l'autisme.
Bien que les travaux de Spitz aient initialement été interprétés de manière à soutenir des théories maintenant discréditées sur l'autisme, la recherche ultérieure a clarifié que l'autisme est une condition complexe avec des causes principalement biologiques, et que les interactions affectives, bien qu'importantes pour tous les enfants, ne sont pas la cause des troubles du spectre autistique.
Analyse détaillée des avancées qui ont contribué à démonter cette théorie
Les études génétiques
Des recherches approfondies, notamment des études sur les jumeaux, ont montré que l'autisme présente une forte composante héréditaire. Par exemple, si un jumeau est diagnostiqué avec un trouble du spectre autistique, l'autre jumeau a une probabilité beaucoup plus élevée de développer également le trouble, comparativement aux frères et sœurs non jumeaux. De plus, des chercheurs ont identifié plusieurs gènes qui augmentent la susceptibilité à l'autisme. Ces découvertes soulignent que les causes de l'autisme sont en grande partie biologiques et prédéterminées génétiquement, plutôt que causées par des facteurs comportementaux postnataux.
Les études sur le développement du cerveau
Les chercheurs ont observé que les personnes autistes montrent des particularités dans la structure et le fonctionnement de leur cerveau. Ces différences sont observables bien avant que les interactions significatives entre la mère et l'enfant ne commencent, suggérant que les traits autistiques sont innés et ne résultent pas d'un manque d'affection maternelle. Par exemple, des différences dans le développement des connexions neuronales et des structures cérébrales comme le cortex préfrontal et l'amygdale ont été mises en évidence chez les jeunes enfants autistes, renforçant l'idée que l'autisme est ancré dans la biologie neurodéveloppementale.
Une réévaluation des approches psychanalytiques
La méthodologie des théories psychanalytiques qui ont soutenu la notion de mères frigidaires a également été largement critiquée. Les critiques ont souligné que ces théories s'appuyaient principalement sur des observations cliniques et des études de cas sans contrôle expérimental rigoureux, manquant ainsi de la rigueur scientifique nécessaire pour établir des conclusions valides sur les causes de l'autisme. De plus, ces approches n'ont pas réussi à produire des résultats reproductibles ou à prévoir efficacement les issues de l'autisme, ce qui a conduit la communauté scientifique à remettre en question leur validité et à les écarter progressivement au profit de méthodes basées sur des preuves empiriques solides.
👉 Ces avancées scientifiques ont non seulement réfuté la théorie des mères frigidaires mais ont également permis de mieux comprendre l'autisme comme un trouble complexe impliquant des facteurs génétiques et neurodéveloppementaux. En conséquence, la recherche et le traitement de l'autisme ont évolué vers des approches plus inclusives et basées sur la biologie, contribuant à une meilleure prise en charge des personnes autistes et à une réduction de la stigmatisation pour les familles.
Voici quelques théories modernes et scientifiquement soutenues, qui expliquent l'autisme
Nous sommes en 2024, peut-être que dans 10 ans ces théories seront perçues comme absurdes et obsolètes. Cependant vu l'avancé grandissante concernant la recherche sur l'autisme, elles me semblent bien plus fondées et cohérentes que les mamans qui vivent dans les réfrigérateurs. En effet, la compréhension contemporaine de l'autisme a grandement évolué grâce à des recherches approfondies et multidisciplinaires. Ces théories modernes et scientifiquement soutenues offrent une perspective bien plus nuancée et biologiquement ancrée de l'autisme, mettant en lumière les divers facteurs qui contribuent à son développement.
➡️ La Théorie de la Connectivité Cérébrale
Cette théorie postule que l'autisme est caractérisé par des différences dans la connectivité neuronale, c'est-à-dire dans la façon dont les différentes parties du cerveau communiquent entre elles. Des études utilisant l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) ont montré que les personnes autistes peuvent présenter une connectivité réduite ou excessive dans certaines régions cérébrales. Par exemple, ils peuvent avoir une connectivité réduite entre les régions impliquées dans le traitement social et émotionnel, ce qui pourrait expliquer certaines des difficultés dans les interactions sociales et la compréhension des émotions d'autrui. En revanche, une connectivité accrue dans d'autres zones, comme celles liées à des intérêts spécifiques, pourrait expliquer la tendance à l'hyper-focalisation souvent observée chez ces personnes.
➡️ La Théorie de la Sous- et Sur-Excitation Neuronale
Selon cette théorie, l'autisme pourrait résulter de déséquilibres dans l'excitation et l'inhibition neuronales dans le cerveau. Des recherches ont indiqué que chez certaines personnes autistes, il y a un déséquilibre chimique dans le cerveau où l'activité excitatrice (principalement médiée par le neurotransmetteur glutamate) prédomine sur l'activité inhibitrice (principalement médiée par le neurotransmetteur GABA). Ce déséquilibre peut conduire à une sur-réactivité sensorielle, des difficultés dans le traitement des stimuli environnementaux, et d'autres traits communs dans l'autisme.
➡️ La Théorie de l'Esprit
Bien que moins centrée sur la biologie et plus sur la psychologie cognitive, la "théorie de l'esprit" a également joué un rôle important dans la compréhension de l'autisme. Cette théorie suggère que les personnes autistes peuvent avoir des difficultés à comprendre et à prévoir les pensées, les croyances, les désirs et les intentions d'autres personnes. Cela peut rendre les interactions sociales plus complexes et souvent mal comprises par les personnes non autistes. Bien que cette théorie n'explique pas l'origine de l'autisme, elle aide à comprendre certains des défis sociaux et communicationnels auxquels sont confrontées les personnes autistes.
➡️ La Théorie Polygénique
Cette approche génétique considère l'autisme comme le résultat de l'interaction de nombreux gènes, chacun contribuant modestement au risque global de développer le trouble. La recherche a identifié des centaines de variants génétiques qui, lorsqu'ils interagissent avec des facteurs environnementaux spécifiques, peuvent augmenter la susceptibilité à l'autisme. Cette théorie est soutenue par des études de génomique à grande échelle qui montrent comment ces interactions complexes façonnent les trajectoires de développement neurologique.
La nécessité de rester informé et de rester critique
Malgré les progrès significatifs dans notre compréhension de l'autisme et le démenti de théories obsolètes comme celle des "mères frigidaires", certaines pratiques et croyances dépassées persistent encore dans certains milieux professionnels. Mon expérience personnelle en témoigne. Des années après que la théorie des mères frigidaires ait été scientifiquement réfutée, ma mère a été accusée d'être une "mère frigidaire". Cette accusation reflète un manque alarmant de mise à jour dans la formation continue de certains professionnels de la santé.
Cet exemple souligne l'importance de s'informer activement et de manière autonome. S'informer permet également de dialoguer efficacement avec les professionnels de santé, de poser des questions critiques et de demander des explications sur les approches et les traitements proposés.
Voilà, voilou les p'tits loups. @ très bientôt !
Merci, c'est clairement expliqué